Histoire vivante des moines racontée à mes enfants

Dom Gérard Calvet (1927-2008) et les moines du Barroux

Benoît (6 ans), Thérèse (10 ans), Pierre (15 ans) et Sophie (17 ans) entourent leur père, qui leur raconte comment Dom Gérard en vint à fonder l’abbaye du Barroux.

Dom Gérard Calvet (1927-2008) et les moines du Barroux

Benoît — Est-ce que tu vas nous parler un jour de l’histoire du Barroux ? C’est quand même le monastère que nous connaissons le mieux !

Le père — Eh bien, oui. Nous y voici !

Sophie — Nous savons que Le Barroux a été fondé par Dom Gérard. Dans quel genre de famille celui-ci a-t-il vu le jour ?

Le père — Gérard Calvet est né en 1927 dans une famille de négociants en vins de Bordeaux. Il fut très marqué par la piété de sa mère, mais aussi par son amour du beau et son horreur de toute vulgarité. En octobre 1940, il entra à l’École des Roches installée à Maslacq. Ce sera le creuset de sa vocation. André Charlier, professeur de lettres et excellent musicien, était l’âme et le guide de cet établissement. Maslacq en appelait à la responsabilité des élèves : pas de surveillants, le rôle de « capi- taine » était joué par les aînés. Dans ses fameuses Lettres aux capitaines, André Charlier montrait bien l’ambition de dépassement de soi qu’il nourrissait pour ses élèves. Pour lui, l’enseignement était une œuvre spirituelle.

Pierre — Comment est venue à Dom Gérard l’idée de devenir moine ?

Le père — À environ 90 km de Maslacq, l’abbaye d’En Calcat venait de fonder le prieuré de Madiran. André Charlier y emmenait ses grands élèves pour des récollections de quelques jours. Ce n’est qu’en 1945 que Gérard, élève peu brillant – ainsi il redoubla – mais doté d’idées claires et d’une belle culture, entendit l’appel de l’absolu. Il faudra pourtant trois ans à ce tempérament joyeux, passionné de jeux de clown et de théâtre, pour se donner complètement au Bon Dieu. Il est vrai que, comme tout le monde, il dut faire son service militaire : pour lui, ce fut au Maroc.

Le 15 janvier 1950, il entrait enfin à Madiran. Lors de sa prise d’habit, il garda son prénom. Les conditions de vie étaient plus que spartiates dans une vieille maison trop petite et insalubre. Dans cette pauvreté, la beauté du culte était la seule richesse. Les moines apprenaient le sens théologique des rites en lien avec les sources vives de la vie spirituelle. Le Père Abbé, Dom Filibert Moreau, dispen- sait une doctrine spirituelle simple, fondée sur la petitesse et la vie mariale, et inspirée de celle de deux saintes chères à son cœur : Bernadette de Lourdes et Thérèse de Lisieux. Mais bientôt la communauté de Madiran déménagea à Tournay.

Pierre — Comment Dom Filibert définissait-il la vie des moines ?

Le père — Par la Règle de saint Benoît, selon le mot de Jésus à Mère Marie Cronier : « Comme code, la Règle ; comme moyen, l’oraison. » L’insistance était mise sur l’esprit liturgique : unir toute sa vie à l’office divin. Je ne peux vous raconter toute la vie de Dom Gérard en détail. Jusqu’à son départ au Brésil en 1963, rien d’ailleurs de spécial. Là-bas, tout se passa d’abord bien jusqu’à ce que le prieur de la petite communauté de Curitiba (très bon au demeurant) s’engageât dans des « expériences ». Dom Gérard n’admettait pas les slogans qu’on prétendait alors imposer sans discussion : il faut s’adapter au monde moderne, actualiser l’observance car l’homme a changé, renoncer à l’office latin grégorien… Ainsi il se convainquit peu à peu de la justesse de l’analyse de Jean Madiran : l’hérésie fondamentale qui massacre les âmes du xxe siècle est le refus de toute vérité objective, ce que Benoît XVI appellera le « relativisme doctrinal ».

Sophie — C’est impressionnant que, dans un temps si court, tout ait pu basculer de la sorte.

Le père — Effectivement, et Dom Gérard en a été profondément blessé. De retour à Tournay en 1968, il découvrit une semblable remise en cause de la doctrine monastique héritée de Dom Romain Banquet : abandon du latin, du grégorien, du silence, de l’oraison après Vêpres… Le Père Abbé invi- tait les moines à une « mutation substantielle ». Dom Gérard décida de chercher ailleurs un refuge avec l’aide compréhensive de son supérieur : successivement, il essaya la chartreuse de Montrieux, l’abbaye de Fontgombault, l’érémitisme à Montmorin. Mais il était un cénobite dans l’âme et, quand on lui annonça que, près de Bédoin, le prieuré de la Madaleno allait se trouver disponible, il demanda à son Père Abbé de pouvoir faire l’essai d’une vie bénédictine d’esprit traditionnel ouverte à tous ceux que les réformes et les adaptations avaient laissés insatisfaits. C’est ainsi que, le 24 août 1970, Dom Gérard arriva à Bédoin en Vélosolex et célébra la messe dans la belle chapelle romane du xie siècle. Alors commença vraiment « l’aventure monastique »…

Benoît — Y a-t-il eu beaucoup d’entrées au monastère ?

Le père — Oui ! Pour faire court, j’en arrive à 1979-1980 : 23 entrées en deux ans ! La plupart des premiers moines ne sont pas restés mais quand, fin 1981, la communauté a déménagé dans les bâti- ments en construction sur une colline déserte proche du village du Barroux, elle ne comptait pas loin de 32 moines. Grâce à une multitude de bienfaiteurs, de beaux bâtiments en pierre du pays s’élevèrent bientôt. Vous les connaissez …

Thérèse — Quelles étaient les relations avec Rome ?

Le père — Elles n’étaient guère au beau fixe. Les relations de Dom Gérard avec Mgr Marcel Lefebvre – lequel se montra en réaction contre Rome à partir de 1975 – n’arrangeaient rien. Un long chemi- nement s’engagea pourtant et, lorsque Mgr Lefebvre sacra quatre évêques contre la volonté du pape, Dom Gérard fut de ceux qui préférèrent rester fidèles à Rome sans rien renier de leur attachement à la tradition liturgique et doctrinale.

Sophie — Et tu ne nous parles pas des moniales du Barroux, que nous aimons tant !

Le père — C’est pendant l’été 1979 que quelques jeunes filles se sont réunies autour d’une bénédic- tine de 57 ans, Mère Élisabeth de la Londe, à Montfavet, puis à Uzès. La communauté s’étoffa peu à peu avant d’entreprendre des travaux au Barroux à 2 km des moines : ce fut le magnifique monastère Notre-Dame de l’Annonciation ! En 1999, Mère Élisabeth laissa la place à sa jeune prieure, Mère Placide Devillers.

De son côté, Dom Gérard démissionna en 2003 et Dom Louis-Marie de Geyer d’Orth lui succéda. À l’occasion du jubilé sacerdotal de Dom Gérard, l’ancien archevêque d’Avignon, avec qui il y avait eu des moments difficiles, lui écrivit ces mots résumant bien toute l’histoire des moines : « Finalement, tout a été grâce et pour vous, et pour moi. Nous avons tous un grand besoin du pardon de Dieu. “TOUT EST GRÂCE” ».

Avec ce numéro s’achève L’histoire vivante des moines racontée à mes enfants. Vous avez été nombreux à nous faire part de votre enthousiasme à propos de cette rubrique. Vous retrouverez dans notre prochaine lettre Benoît, Thérèse, Pierre et Sophie, ainsi que leur très érudit père. Celui-ci leur racontera la formidable histoire de notre Sainte Mère l’Église.