L'âme de tout apostolat

Au début du xxe siècle, le clergé français vit une crise profonde…
TOLLE, LEGE : PRENDS ET LIS !
Au début du xxe siècle, le clergé français vit une crise profonde. En plus du modernisme, qui sape la foi des prêtres et des séminaristes, émerge une doctrine bientôt condamnée par Léon XIII : l’américanisme. « La négation du surnaturel a essayé de pénétrer dans le sanctuaire… Elle affirme que les dogmes chrétiens doivent se développer sous l’influence de la philosophie et selon les progrès de la science… (modernisme). Elle dit au prêtre : moins tu seras prêtre, plus tu seras compris et suivi. Parle à ces multitudes avides de bien-être le seul langage qu’elles puissent entendre : Silence à Jésus crucifié ! (américanisme). » Ces paroles de Mgr Turinaz à l’occasion de la cérémonie de béatification du curé d’Ars, en 1905, donnent le ton.
Au même moment, parfaitement renseigné, Dom Chautard, abbé de Sept-Fons, constate lui aussi cet idéal nouveau qui détourne l’élite chrétienne : l’amour de l’action pour l’action. La vie intérieure est méconnue. « Méconnue, c’est trop peu dire ; elle est souvent méprisée et ridiculisée, et par ceux- là même qui devraient le plus en apprécier les avantages et la nécessité… » En 1913 paraît son livre capital L’Âme de tout apostolat, qui va connaître un succès extraordinaire. Sur le front de la Grande Guerre, il est lu avec avidité. Presque 240 000 exemplaires seront vendus en France.
Que contient ce livre ? D’abord, une définition de la vie intérieure. Pour le chrétien, aucun bien de ce monde n’est aussi important que la vie surnaturelle du Christ en lui. Jésus est la source unique de cette vie par le baptême. Elle se recouvre par l’absolution dans le sacrement de pénitence après le péché. Rien n’importe davantage que de maintenir et développer en soi ce contact avec le Christ. Ce qui n’est possible qu’à force de volonté et d’amour pour se refuser à tout ce qui est contraire à la vie surnaturelle et s’efforcer de cultiver une foi précise et certaine en la réalité très vivante de cette vie de Jésus qui pénètre de plus en plus tout notre être.
Il faut veiller et prier sans cesse pour que notre intelligence ne s’aveugle pas et que notre volonté ne devienne pas trop faible pour coopérer avec Jésus au maintien de sa vie en nous. Cet effort résolu et constant d’une âme qui veut garder en elle la présence vivante du Christ est le plus noble et courageux travail qui soit au monde.
Ayant ainsi défini la vie intérieure, Dom Chautard en plaide ardemment la cause contre ceux qui se cherchent des prétextes pour éviter ce rude labeur intérieur. Les deux tiers de L’Âme de tout apos- tolat sont consacrés à démontrer que l’action missionnaire est certes d’une importance capitale, mais qu’elle n’aura aucune fécondité réelle si le chrétien diminue sa vie intérieure du fait de ses œuvres exté- rieures. Dom Chautard se montre très éloquent dans cette plaidoirie.
À la fin de l’ouvrage, il expose la méthode à suivre pour nourrir une vie intérieure profonde. Elle se résume en trois mots : discipline, prière, sacrements. Rien d’original, mais ici encore une très grande clarté d’ex- position.
Divers historiens ont pris acte de l’exceptionnelle élévation morale et spirituelle atteinte par le clergé français de 1919 à 1945. Une fraternité s’est recréée avec le reste du peuple français. L’action catholique et le scoutisme établissent des liens étroits avec les chrétiens convaincus. Un nouvel élan spirituel a éliminé le modernisme et l’américanisme. Il ne peut faire de doute que des écrits largement diffusés ont contribué à ce renouveau : Dom Columba Marmion, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, le Père Charles de Foucauld et… Dom Chautard.
Un clergé profondément renouvelé de l’intérieur cherche vraiment Dieu et le salut des âmes. Le résultat ne se fait pas attendre : le nombre
de vocations recommence à croître (1 200 ordinations en 1939 pour 700 seulement en 1914). Au- jourd’hui comme hier, nous devons nous persuader que la puissance de l’Esprit est plus forte que celle du mal. On demande des âmes intérieures…