Homélie du 8 octobre


Homélie prononcée pour la fête de la Dédicace de l’église cathédrale Notre-Dame des Doms
Sermon pour la fête de Notre-Dame des Doms 2023
Mes frères et sœurs, peut-être vous demandez-vous pourquoi des ornements blancs aujourd’hui ? C’est que nous fêtons l’anniversaire de la dédicace de notre église cathédrale qui eut l’honneur d’être pendant 70 ans la basilique des Papes, réfugiés sur les côtes hospitalières du Rhône pour échapper à l’anarchie sanglante des Romains.
La liturgie de dédicace ne se comprend que si on en possède la clé. Cette clé réside dans le mot « église ». Église peut s’écrire soit avec une majuscule soit avec une minuscule : selon qu’il désigne l’assemblée des fidèles (la Sainte Église de Dieu) ou le bâtiment de pierre, ici l’église cathédrale. Notons en outre que le chrétien est appelé lui aussi « temple du Dieu vivant ! »
Pour entrer dans la liturgie d’aujourd’hui, il est donc essentiel de bien comprendre cette triple analogie entre le temple de pierres, l’Église, corps du Christ, et enfin le chrétien habité par Dieu. Dans les trois cas, c’est toujours cependant Jésus qui est fêté : Jésus réellement présent dans nos églises par l’eucharistie, Jésus tête et époux de la Sainte Église, Jésus présent en nous.
Mes frères et sœurs, malgré cette présence rassurante du Seigneur, beaucoup d’entre nous sentent qu’il y a péril en la demeure… Les églises, l’Église, nos âmes : ces trois réalités sacrées sont aujourd’hui également en danger.
Les églises, l’Église, nos âmes peuvent néanmoins être sauvées : nous devons l’espérer envers et contre tout.
Vous me permettrez donc de pousser trois cris d’alarme et de vous proposer trois raisons d’espérer.
Trois cris d’alarme, trois raisons d’espérer, tels seront les deux points de ce sermon.
Premier cri d’alarme ! Nos églises de pierres sont en danger. 50 000 édifices religieux sont menacés en France par le manque d’entretien ou par le vandalisme et les profanations…
Deuxième cri d’alarme : la sainte Église elle-même est en péril ! Elle est en passe de perdre sa liberté et elle est atteinte dans l’intégrité de sa foi. Un prélat chinois de l’Église clandestine dénonce la perte de liberté : « En Chine vous pouvez dire votre messe, brûler des tonnes d’encens, chanter les cantiques que la censure vous autorise. C’est l’ouverture ! Mais vous savez, il y a des sujets qu’il ne faut pas aborder. À peu près tous les sujets sont interdits. … Si vous invoquez l’inviolabilité de la vie de l’enfant par exemple, vous partez pour les camps de rééducation et la prison sans espoir de retour. ».
Mes frères et mes sœurs, sommes-nous encore très loins de cela en France où un « totalitarisme sournois », selon l’expression du pape jean-Paul II, grignote peu à peu la liberté de l’Église ? Combien d’hommes d’Église osent-t-ils encore s’opposer à l’avortement. Combien de temps le personnel médical bénéficiera-t-il de l’objection de conscience en face de l’assassinat légal des enfants et des malades ?
Outre la liberté de l’Église c’est l’intégrité de la foi de beaucoup de catholiques qui est depuis longtemps en danger. Les articles de la foi et de la morale exposés dans le catéchisme de l’Église catholique ne sont plus crus de beaucoup. L’Église est atteinte dans sa liberté, l’Église est atteinte dans l’intégrité de la foi de ses membres. C’est mon deuxième cri d’alarme.
Le troisième cri d’alarme concerne l’âme humaine elle-même. Une supérieure religieuse de Hanoï (dans ce Vietnam si exemplaire !) témoignait en pleurant : « Oui, il reste encore chez nous un sens de la famille, de la vie communautaire et des traditions ancestrales. Les catholiques vont à la messe (et parfois avec héroïsme). Mais combien de temps cela peut-il encore durer ? L’âme, l’intériorité de la personne, surtout chez les jeunes, se vide à une vitesse que vous n’imaginez pas. La cause : les écrans, internet, qui créent toutes sortes de besoins et d’addictions, et vident l’âme… Nous ne l’avons pas vu venir. » « L’intériorité de la personne se vide ! Nous ne l’avons pas vu venir. » Terrible aveu dans un des pays où les catholiques se montrent le plus courageux à professer leur foi !
Nos églises qui s’écroulent, la sainte Église ébranlée, les âmes qui perdent leur intériorité… Mes frères et sœurs, ayant poussé ce triple cri d’alarme, laissez-moi maintenant vous proposer trois petits signes d’espérance. Ce ne sont que de toutes petites lumières, mais comme le dit un proverbe chinois : « Il vaut mieux allumer une toute petite bougie que de maudire l’obscurité ! »
Première bougie : là où une bonne volonté se dresse il devient possible de reconstruire nos églises. Nous avons l’exemple admirable près d’ici de la chapelle Saint-Hilaire. Voici un autre exemple, picard celui-là. Un petit village de 200 habitants consacre une large part de son budget à la réfection complète de son église. Comme cela ne suffit pas, le maire, non-croyant, lance une souscription qui remporte un vif succès. Il passe en outre ses week-ends avec des bénévoles à rejointoyer les briques. Puis il invite l’évêque à bénir un nouveau coq pour le clocher et à chanter une messe à cette occasion. L’évêque s’attend à trouver là 20 personnes : 250 braves gens plein d’une ferveur naïve se pressent dans l’église. Cet évêque m’a dit lui-même que c’était resté l’un des meilleurs souvenirs de son épiscopat. Petit détail à noter : dans ce village un ménage de vieux oblats bénédictins récitait fidèlement son office et son chapelet.
Deuxième bougie : la sainte Église. Son histoire nous invite à croire qu’elle a les paroles de la vie éternelle. Toutes les sociétés, tous les systèmes politiques ont prétendu durer et se sont effondrés. La Russie communiste a cru par exemple réaliser le paradis définitif des sans-Dieu. Une fillette française de 10 ans, qui s’y était trouvée coincée du fait de la guerre 14, disait à son petit fils, qui me l’a rapporté : « J’aurai vécu assez pour voir la fin du film ! ». Le film de l’horreur soviétique, descente vertigineuse dans l’enfer le plus absolu, a duré le temps d’une vie de femme. Pas plus.
Il n’en est pas de même de la sainte Église. En 2033, nous fêterons les 2000 ans de sa fondation à la Pentecôte de l’an 33. Cette société a enterré toutes les civilisations qu’elle a croisées dans son histoire et elle a perduré…
Et pourtant que de crises gravissimes a-t-elle traversées !
En 360, presque tous les évêques d’occident (à l’exception des saints Hilaire et Phœbade d’Agen) joignent ceux de l’Orient pour « établir l’unité dans l’incrédulité », selon l’expression de saint Hilaire dans son Histoire des synodes (De synodis). Saint Athanase se cachait chez les moines. « L’univers se réveilla arien », dit saint Jérôme. À travers le foisonnement des synodes et des contre synodes décrits par saint Hilaire, l’hérésie semblait avoir triomphé, l’Église du Christ paraissait morte dans sa foi. Manipulé par un empereur arien, le chemin synodal débouchait sur une mise en cause universelle de la divinité du Christ.
L’Église s’en est pourtant sortie… La foi a été sauvée. Il serait trop long de dire comment.
Au XIe siècle, l’Église était tombée aux mains des laïcs, rois, princes, petits seigneurs. Ils nommaient à leur guise (moyennant finance) les curés, les évêques et même le pape. Beaucoup de prêtres et d’évêques vivaient mariés ou en concubinage. La réforme grégorienne libéra l’institution d’une destruction qui paraissait irrémédiable : elle rendit aux clercs leur liberté, elle restaura la pureté de leurs mœurs, elle rétablit l’autorité du pape.
À la Révolution française, l’Assemblée constituante promulgua la Constitution civile du clergé qui fut une tentative de démocratisation radicale de l’Église d’inspiration janséniste : à tous les postes, curés, évêques, tous étaient élus par le peuple. Le pape n’était même plus habilité à donner l’intronisation aux évêques. C’était une complète « sécularisation de la religion » (Jaurès). Tout paraissait perdu. La moitié des prêtres avait juré fidélité à cette église schismatique. Les prêtres fidèles à Rome étaient réduits à la clandestinité ou à l’émigration. Leur fidélité jointe à l’héroïsme vendéen sauva tout. Napoléon, impressionné par l’attachement des Français à leur religion, signa contre l’avis de tous ses proches, le concordat de 180, qui mit fin à cette laïcisation de l’Église…
Ainsi, depuis 2000 ans, ni les synodes manœuvrés par des minorités perverses, ni l’invasion des laïcs dans la gouvernance de l’Église, ni la démocratisation de ses rouages la transformant en une société sans transcendance, n’ont pu en venir à bout. C’est la deuxième bougie : la barque de Pierre est insubmersible.
Et maintenant la troisième… L’âme, l’intériorité va-t-elle être détruite par le monde moderne ? Eh bien là, les bougies sont multiples : ce sont les saints contemporains ! Ils ne manquent pas. Plusieurs livres récents ont eu l’intelligence de les proposer en exemple.
Le bienheureux Carlo Acutis… né de parents non pratiquants ; sur-doué de l’informatique et virtuose d’internet : il aurait du sombrer dans l’addiction et y perdre son âme. Il découvre la messe quotidienne et l’adoration prolongée du saint sacrement, ce soleil d’amour qui fait de nous des saints. Il devient effectivement un saint. L’eucharistie est son « autoroute pour le ciel ». Pur comme un ange, apôtre dans l’âme, charitable en tout, il meurt à 15 ans en 2006 dans des souffrances atroces, supportées avec une patience angélique et il est béatifié en un temps record. Son corps est demeuré intact.
Oui, il y a encore des saints parmi nous… Pas seulement en Italie… Notre sœur oblate, Élisabeth de la Trinité Doron a vécu ces dernières années une suite d’épreuves peu ordinaires avec une patience que seule une profonde vie intérieure peut expliquer. Elle a eu une mort de sainte.
Et encore, il y a quelques jours, nous avons appris le décès de madame Brigitte Zschaege dont c’est la fête aujourd’hui. D’une extrême discrétion, cette dame allemande n’a jamais manqué d’être la première à l’office de matines pendant de très nombreuses années, arrivant à 3h15 tous les jours. Elle était toujours prête à rendre service et elle cachait ses graves problèmes de santé derrière sa bonne humeur et son silence. Prions pour qu’elle chante bientôt les matines au ciel si ce n’est déjà le cas.
Mes frères et sœurs, il est encore possible d’être des saints. Il est encore possible de ne pas laisser vider notre intériorité.
C’est l’Église sainte rayonnant dans cette vie intérieure des vrais chrétiens, fils de l’Église, qui sauvera le monde !
« Une âme qui s’élève, élève le monde », écrivait dans son journal une femme d’élite, Élisabeth Leseur.
(silence)
« Une âme qui s’élève, élève le monde. »
Amen